Demain, la guerre des générations ?

Faudrait peut-être expliquer à Macky Sall que les Sénégalais qui votent contre Wade en mars 2012 ne cherchent pas seulement à se débarrasser d’un clan encombrant. Ils croient aussi se débarrasser d’une manière de faire la politique qui finit alors d’user un pays au bord de la dépression collective. Ils en ont aussi un peu marre de cette génération qui est là depuis trois décennies à occuper la scène politique au gré des combinaisons les plus inattendues, parfois les plus scabreuses…
 
 Lorsque le pays se soude comme une seule famille pour envoyer le grand-père Wade à la retraite, c’est vrai, Moustapha Niasse, Ousmane Tanor Dieng, Amath Dansokho, Abdoulaye Bathily et consorts sont aux premières loges, lors de l’assaut du deuxième tour pour terminer le travail. Ils ont fait les barricades avec tout le monde, et peuvent revendiquer leur part d’héroïsme dans la victoire face au «sopi» décadent. Là, maintenant que c’est fait et que la fièvre retombe, y’a comme une gueule de bois qui commence à faire mal à la tête. Surtout après un hivernage meurtrier qui voit des familles entières se noyer dans une misère crasse, tandis que le partage des honneurs et des privilèges se poursuit gaillardement, entre vieux flibustiers de la politique.

Dans les rangs des alliés de Macky Sall, quelques signes de nervosité : Idrissa Seck, certes, n’est pas fâché, mais personne ne peut jurer qu’il est content. Il doit trouver le temps long, depuis que le Sénat est passé par pertes et profits.
 
Le maroquin moelleux qui lui aurait permis de voir venir sereinement les cinq prochaines années vient d’aller à la poubelle. Ses ouailles de Mbour, comme par hasard, lui demandent de faire son paquetage et quitter cet attelage brinquebalant. Le Prof Ibrahima Fall, un autre héros de la Place de l’Indépendance, se met à dresser ses barricades, poliment, mais fermement, en prévision des lendemains qui s’annoncent mouvementés. Le Mouvement «Y’en a marre» aussi, manifeste son agacement. Fadel Barro qui se fend d’une sortie lors de la suppression du Sénat, et Fou Malade qui en rajoute une couche il y a trois jours…

En vérité, l’effondrement de la citadelle Wade n’a fait que différer la confrontation : deux générations de Sénégalais se font face, qui ne s’entendent pratiquement sur rien. Leur culture politique n’est pas la même. D’un côté, les  vieux routiers de la politique, les apparatchiks, qui ont fait leurs gammes durant les âges farouches (comprenez les années soixante) où seule la voix du chef comptait, et qui trustent les postes de commande dans la République de Sa Rondeur Macky Quatre. Ils gardent les stigmates de la clandestinité, du centralisme démocratique et de la pensée unique. Même si tout ça n’est plus qu’un tas de souvenirs obsolètes qu’ils ont largués avec leurs premières raisons de se battre, ils gardent la manie des complots de couloirs, l’œil désormais rivé sur leurs rentes.

Face à eux, la nouvelle génération aux dents longues, qui vient de se rendre compte après une deuxième alternance, que le grand-père Wade n’était qu’une partie du problème. Le vrai combat reste le renouvellement du personnel politique et de la philosophie du bien commun. La rébellion de Malick Noël Seck face à l’establishment socialiste est une des facettes de la confrontation qui s’annonce entre deux conceptions de faire de la politique, et même de se sentir Sénégalais. Le Parti démocratique sénégalais, qui a implosé, se recroqueville sur son dernier noyau de fidèles pour opérer sa mue. Sa brutale perte du pouvoir lui inculquera plus facilement les notions de révolution mentale.
La question sera plus difficile à trancher du côté de ceux qui sont aux affaires.

Par exemple, comment faire comprendre à Ousmane Tanor Dieng qui a perdu en quinze ans près de deux millions d’électeurs, que son bilan comme Premier secrétaire est un échec et que l’heure de la retraite a sonné… A des partis comme le Pit, le Rnd, le Msu, la Ld/Mpt, And Jëf qui n’osent plus présenter de candidat à la présidentielle, qui se réfugient dans des coalitions pour siéger au Parlement, que leur temps est fini ? A Moustapha Niasse qu’être perché au dessus des députés n’est pas une fin en soi ?

Source: sudonline.sn du 13 Octobre 2012 par Ibou Fall